4 – Préserver le mental

Un moral d’acier : Eugène CHRISTOPHE répare sa fourche sur le tour de France 1913

Si l’on exclut la part de chance ou de malchance qui pèse dans la réussite ou l’échec de toute entreprise humaine, réussir sur les longues distances tient essentiellement à trois facteurs :

  • Condition physique ;
  • Fiabilité du matériel ;
  • Force mentale.

Au fil des randonnées, j’ai fini par me convaincre que parmi ces trois points déterminants, le mental est prépondérant sur les deux autres.

Le mental n’est pas acquis une fois pour toutes : comme les muscles il se forge et il s’entretient au moins autant que le vélo.

 

Longues distances, le physique est à l’épreuve…

Lorsqu’on évoque les diagonales et les longues distances, beaucoup pensent à juste titre que notre physique va être mis à rude épreuve. Il est vrai que pédaler une quinzaine d’heures d’affilée, plusieurs jours durant, avec seulement quelques heures de sommeil sollicite l’organisme à un niveau inhabituel.  

Aussi pour relever ce défi physique, rares sont les cyclos qui s’engagent sur ce genre de périple en se limitant à tourner autour du clocher de leur village. Fort logiquement, je n’en connais aucun qui ait entrepris de partir sans s’être préalablement « tanné le cul » sur la selle.

Lorsque cette condition physique est acquise, il ne reste donc plus qu’à gérer et à doser son effort.

Longues distances, le matériel doit tenir…

L’autre préoccupation des cyclos désireux de se lancer dans l’aventure porte sur le matériel. L’observation des visites sur ce site confirme ce souci : j’observe que les pages traitant ce sujet sont parmi les plus consultées, même s’il ne me semble pas primordial.

Certes, le matériel comme le physique doit être éprouvé. Sur ce point, il me semble qu’un matériel rustique offre souvent la meilleure garantie de fiabilité et se prête mieux aux réparations de fortune.

Là encore, nul n’oserait s’aventurer sur une monture aux freins douteux, avec une transmission approximative, ou sans avoir examiné puis éliminé toutes les causes potentielles d’incident. Personne non plus ne s’embarquerait sans s’être préparé à remédier à toutes les avaries susceptibles de se produire en cours de route (crevaison, pneu ou rayon de rechange, attache rapide, etc.)

Pour partir loin en toute quiétude, il suffit donc d’être sérieux dans ses choix et dans sa préparation du matériel.

Longues distances, le mental ne doit pas flancher !

La préparation physique et le choix d’un matériel adapté sont évidemment indispensables pour mener à bien le projet mais ne suffisent pas à eux seuls à en garantir la réussite.

Par analogie avec une épreuve automobile, un excellent pilote au volant de la voiture la plus puissante, mais dont le réservoir n’aurait pas été suffisamment rempli ou qui se viderait anormalement, n’ira jamais plus loin que ce que lui permet sa réserve de carburant.

L’enthousiasme permet de partir avec un « réservoir mental » rempli à ras bord. Mais à peine parti, il faut et veiller à ne pas gaspiller ce carburant de l’action, car si des jambes lasses permettent toujours d’avancer un peu, un mental « dans les chaussettes » vous condamne à un abandon inéluctable.

Quelques règles de bon sens :

Appliquer à la lettre les sept commandements de Vélocio permet de mieux gérer sa randonnée et maintenir son mental au plus haut.

Les six premiers préceptes visent d’abord à nous guider pour moduler l’effort et préserver notre condition physique. Et à l’évidence, tant que le cycliste se cantonne dans un effort raisonnable, qu’il est convenablement hydraté, correctement alimenté et vêtu, le moral peut rester longtemps à un très haut niveau

En revanche, ne pas respecter le septième et dernier commandement de l’illustre Vélocio consistant à « Ne jamais pédaler par amour-propre » peut conduire à des déconvenues susceptibles d’affecter très sérieusement le mental.

 

Quelques expériences personnelles évoquées à la suite illustrent la manière dont j’essaye de mettre en pratique ces commandements essentiels pour le préserver le mental

Il faut se fixer des objectifs raisonnables :

Conscient de mes capacités physiques et mentales limitées, c’est seulement lorsque j’ai été aguerri par un premier cycle de diagonales que j’ai pu envisager des objectifs raisonnablement plus ambitieux.

Par exemple, sur Brest/Menton réalisé en premier, je me suis limité à environ 10 000 m de dénivelée. C’est seulement quelques années plus tard sur Menton/Brest que j’ai pu m’attaquer aux 15 000 m de dénivelée d’un parcours plus ardu avec au programme la Bonnette et la traversée du massif central dans ses grandes longueurs.

Malgré l’avantage d’un âge moindre et d’une meilleure condition physique, procéder à l’inverse se serait vraisemblablement soldé par un échec du fait de l’appréhension d’un objectif semblant hors de portée pour un presque novice.

Je crois que la confiance acquise au fil des expériences renforce le mental et peut suppléer une condition physique moins favorable.

Lorsqu’on estime son expérience insuffisante, le choix d’un objectif plus modeste accroit la possibilité de l’atteindre.

La réussite d’un projet, même si elle semble plus facilement accessible, est toujours bénéfique. Elle conforte le mental.

Cerner les difficultés prévisibles :

La sagesse populaire nous dit : « Un homme averti en vaut deux ! »

Partant de ce principe, j’estime qu’une évaluation réaliste des difficultés d’un parcours est un atout précieux pour éviter de faire flancher le mental.

Cette approche permet aussi de mesurer mon aptitude à vaincre ces difficultés et me prépare mentalement à les affronter (ou à les contourner).

Dans cette optique, je détaille mon parcours en essayant de mettre en évidence les tronçons les plus difficiles en terme de trafic, d’orientation ou de dénivelée. Ainsi, je peux doser l’effort et ne pas gaspiller dans un moment d’euphorie l’énergie dont j’aurai besoin plus loin.

En connaissant par avance le degré de difficulté, je peux aussi commencer le compte à rebours pour estimer le moment où cette difficulté sera passée.

Par ailleurs, prévoir le prévisible laisse plus de latitude au mental pour faire face à l’imprévisible.

Enfin lorsque survient une difficulté inattendue s’ajoutant à une difficulté attendue, il me semble plus facile de la gérer et de la relativiser en considérant qu’elle est la part aléatoire et normale de tout voyage.

Chaque petit objectif atteint est déjà une réussite :

Je considère que pour réussir, chaque tour de roue compte. Aussi, j’établis une feuille de route très détaillée. Elle permet en cours de route de me fixer des petits objectifs : le prochain carrefour, le village d’après, la côte suivante, le prochain pointage.

Autant de petites réussites cumulées finissent par donner un air de réussite à une entreprise autrement plus grande. Elles contribuent à entretenir le moral.

À chaque jour suffit sa peine ! 

Ce pourrait être ma devise tant il me semble inutile de se projeter au-delà de l’étape du jour. Penser ainsi permet d’envisager d’arriver au terme de la journée, but qui reste presque toujours à peu près à ma portée.

Penser à ce qui a déjà été accompli est plus rassurant qu’être obsédé par ce qui reste.

Profiter pleinement du plaisir de l’instant :

Les voyages au long cours sont l’occasion de vivre des moments intenses et uniques. J’espère que la lecture de certains de mes récits parviendra à vous en convaincre.

Dans ces instants de plénitude, le plus souvent lorsque je randonne seul, je me surprends à rire de bonheur tant j’ai l’impression de vivre un moment exceptionnel. Pour le même motif, j’ai vu un jour un de mes compagnons de route pleurer. À chacun son tempérament !

Plutôt que de me concentrer pour tenter de réaliser une performance, je préfère me laisser aller à ces moments de plaisir. Ils regonflent le moral d’une manière spectaculaire.

Savoir s’estimer :

Vélocio recommande de « Ne jamais pédaler par amour propre », considérant sans doute que cet état d’esprit peut parfois nous entraîner au-delà du raisonnable : être le plus rapide en prenant des risques, pédaler au-delà de ses limites quitte à mettre son intégrité physique en danger, défier les éléments pour prouver sa force de caractère au risque de s’exposer dangereusement. De la simple volonté de se dépasser à une certaine forme d’orgueil, les raisons qui motivent une telle attitude ne manquent pas !

Pour autant, nul ne contestera que l’exercice de la longue distance suppose une certaine ténacité, une volonté et une forme de courage pour venir à bout des obstacles qui parsèment la route. Lorsque je réussis quelque chose qui m’avait paru hors de portée, il me semble légitime de ressentir une certaine fierté. Et en pareille circonstance, j’avoue que je n’hésite pas à « m’auto-congratuler » !

En m’octroyant ces satisfécits, je relève le niveau de mon moral. Et tant pis si en l’avouant je risque de paraitre immodeste.

Après tout il est permis de « s’auto-féliciter », puisqu’en d’autres occasions, il arrive aussi de « s’auto-critiquer » !

Pour conclure

Comme vous le constaterez si vous avez eu la patience de lire jusque-là, je n’ai pas de recette miracle pour vous dire comment conserver un mental d’acier tout au long de votre randonnée.

Cependant, même s’il déroge au cinquième commandement de notre maitre incontesté, le vénérable et vénéré Vélocio, je peux vous indiquer un remède presque infaillible pour faire remonter le niveau en cas de brusque chute de moral : de temps à autre, à des moments choisis et pour peu qu’elle soit d’une marque recommandable et à bonne température, je bois une bière… 

C’est excellent pour le moral et au moins aussi bon que la douche et le lit au terme de l’étape !




Une réflexion au sujet de « 4 – Préserver le mental »

  1. Hello Gérard. Excellent article
    Quelques nuances personnelles, loin de ton expérience. Rentrer dans la 4ème dimension en ne garder sous les yeux et sur le gps que la trace. Eviter de croiser la distance cumulée du jour ou l’horloge. Avoir ses repères « globaux » pointage à tel endroit, micro pauses…
    Pas de bière en diagonale pour moi mais du snickers banane ou du perrier menthe flan remettent le randonneur sur le dur comme on dit en normandie 🙂

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