
Synthèse
Étapes | |||
1 | STRASBOURG – ORTENBERG (Land de Bade-Wurtemberg – Allemagne) | 31 km | 68 m |
2 | ORTENBERG – HÖRBRANZ (Land de Vorarlberg – Autriche) | 218 km | 1553 m |
3 | HÖRBRANZ – BAD TÖLZ (Land de Bavière – Allemagne) | 179 km | 2289 m |
4 | BAD TÖLZ – WERFENWENG (Land de Salzbourg – Autriche) | 188 km | 2515 m |
5 | WERFENWENG – DEUCHENDORF (Land de Styrie) | 206 km | 1873 m |
6 | DEUCHENDORF – BERNSTEIN (Land de Burgenland) | 108 km | 2016 m |
« De Profundis Titanium !»
Cette Eurodiagonale entreprise avec Joël et Cedric Lamy a pourtant bien commencé. Fin mai, la Forêt noire, les bords du lac de Constance, la Bavière, le Tyrol et la basse Autriche sont un régal pour les yeux, même si pour les contenter, il faut souvent user du triple plateau et payer de sa personne pour pénétrer au cœur des Alpes.
Malheureusement en Autriche après avoir déjà parcouru plus de 930 km, je percute sur une route forestière à Bernstein à proximité de la frontière hongroise la voiture d’un paisible retraité. L’assurance m’apprendra un peu plus tard que le chauffeur sur lequel je me suis littéralement jeté se prénomme Adolf et qu’il est né en juin 1940 ! À cette époque, il est vrai que le sinistre personnage jouissait d’un certain prestige auprès des foules germaniques fanatisées.
Pourtant malgré son prénom douteux, ce pauvre Adolf n’est responsable de rien. Sur un faux plat descendant, malencontreusement je me suis un peu attardé sur la carte à un moment inopportun et je me suis déporté sur la gauche. Relevant la tête au dernier moment, je m’en aperçois trop tard et me trouve catapulté sur le capot de la voiture. L’arrivée d’un pachyderme sur le véhicule provoque aussi l’explosion du pare-brise et l’effroi du pauvre retraité dont je n’ai pas eu le temps de voir s’il était affublé de cette mèche et de cette moustache si grotesques.
Pendant quelques instants, je perds connaissance. Lorsque je reprends conscience, j’interroge avec les quelques rudiments d’allemand qui me restent la personne penchée sur moi. Je veux savoir si je suis en Allemagne ou en Autriche. C’est ce que me raconteront plus tard Cédric et Joël car je ne recouvrerai jamais la mémoire de ce moment.
L’essuie-glace a entaillé ma poitrine. Une longue balafre remonte jusqu’au cou presque à l’endroit de la carotide. Il s’en faut de peu pour que cet accident me coûte la vie et que je finisse saigné au bord de la route comme un pauvre goret.
Les services de secours me dirigent alors vers l’hôpital d’Oberwart dans le Burgenland. J’y passe la nuit et au matin, les examens ne révélant aucun traumatisme ou séquelle corporelle grave, on me libère. Au passage, je suis délesté de 850 euros pour régler le coût des soins, des examens et du repas que j’attends encore. Car depuis la veille, examiné par les médecins au moment du souper, je n’ai mangé qu’une pomme donnée par un patient partageant la chambre. Ça met le kilo de pommes à un prix prohibitif ! Faute d’avoir oublié de partir avec ma carte vitale internationale, il me faudra six mois pour être remboursé.
Encadré par mes deux compagnons d’infortune arrivés depuis peu, je quitte l’hôpital tel un va-nu-pieds claudiquant car dans l’accident j’ai perdu une chaussure.
Physiquement, les 150 km de la veille et le ramadan forcé m’ont plus éprouvé que l’accident. Si je ne veux pas mourir d’inanition, l’urgence est maintenant d’un autre ordre, il nous faut rompre le jeûne et trouver au plus vite une pizza aussi grande qu’une roue de vélo.
Dans le bus qui nous ramène vers le village de Bernstein où nous prévoyons de nous rassasier, un écolier me dévisage longuement, impressionné par cette face tuméfiée qui passe déjà par toutes les couleurs de l’arc en ciel. Comme il insiste du regard et me demande par gestes si je me suis battu, je finis par lui faire comprendre que si je suis blessé, mon agresseur aura pour sa part le privilège de voyager en corbillard… « Der andere ist tot ! »
Europe assistance contacté accepte de me rapatrier en voiture à Budapest. De longue date il est prévu que mon épouse nous y rejoigne par avion le soir même de notre arrivée. Pendant que je témoigne au poste de police de Bernstein, je réussis à négocier avec l’assurance pour que mes coéquipiers et nos montures puissent aussi être pris en charge. L’assurance consent à nous envoyer un fourgon qui doit nous récupérer au commissariat et nous acheminer vers la capitale hongroise distante d’environ 250 km
Après plusieurs heures d’attente à Bernstein, nous entamons en soirée une course folle avec ce chauffeur, ou plutôt ce chauffard, chargé de nous convoyer. Enfin vers minuit, et après une énième entorse au code de la route, nous retrouvons à l’aéroport mon épouse arrivée là depuis cinq minutes à peine. Rétrospectivement j’avoue avoir été d’avantage angoissé par la manière de conduire de cet inquiétant personnage que par l’accident survenu la veille.
Puis quatre jours durant avec Joël, Cédric et mon épouse nous visitons Budapest où cette face amochée ne manque pas d’intriguer. Au terme du séjour, nous rejoignons la France par avion avec mon beau vélo titane désormais brisé en trois endroits.
Ce voyage aurait pu être le dernier. Il a un goût d’inachevé. Aussi je compte bien m’engager à nouveau sur ce périple en suivant un autre itinéraire pour profiter pleinement d’autres paysages et des routes très plaisantes de l’Allemagne du sud, de l’Autriche et de la Hongrie. Mais cette fois, c’est promis, je ne croiserai pas la route d’Adolf et je ne quitterai la route des yeux qu’après avoir déchaussé les pédales sur le parvis du parlement hongrois !