2017 – Diagonale DUNKERQUE – MENTON

Synthèse
  Trajet : Dunkerque – Menton

  Délai : 100 h

  Dates : du 17 au 20 juin 2017
  Distance : 1201 km

  Dénivelée : 11 264 m

  Participants :

Boulvert Jean-Luc (abandon – km 862)

Gauthier Gérard

  Homologation FFCT : 17-013
    Étapes
1 DUNKERQUE (59) – SAINT-QUENTIN (02) 166 km 871 m
2 SAINT-QUENTIN – CHATILLON-SUR-SEINE (21) 289 km 2325 m
3 CHATILLON-SUR-SEINE – CHATEAU GAILLARD (01) 276 km 2241 m
4 CHATEAU GAILLARD – ESPINASSES (05) 247 km 3112 m
5 ESPINASSES – MENTON (06) 223 km 2715 m

 


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Que Calor !

 

1er jour   DUNKERQUE (Nord) – ST QUENTIN (Aisne)

166 km – Dénivelée 871 m


À la sortie du musée maritime, que je m’étais promis de visiter lors de cet ultime passage à Dunkerque, le téléphone sonne. C’est Jean-Luc, mon compagnon de route débarquant de sa lointaine Bretagne. Nous nous accordons encore quelques heures de répit, estimant que l’aventure ne saurait commencer sans un vrai repas. Nul ne songerait à partir à la guerre sans munitions !

Dans la brasserie où nous nous sommes attablés, la serveuse voyant notre tenue et nos vélos estampillés de la plaque magique nous reconnait : « Il me semble vous avoir déjà vu l’an passé, vous vous endormiez au petit matin, en sirotant votre café ». C’est vrai, un an plus tôt, partis de Perpignan, nous arrivions à Dunkerque un peu fatigués. Flattés par ce début de célébrité, nous félicitons la charmante cantinière physionomiste.

Après le traditionnel pointage de départ, le périple débute sur le billard de la piste cyclable longeant le canal de Bergues. Homme du métier, j’apprécie la qualité de l’aménagement, mais le plaisir ne dure pas ; en arrivant sur le territoire de la ville de Bergues, c’est l’enfer du Nord qui commence : nids de poules à foison, ornières et revêtement défoncé mettent à rude épreuve nos montures et nos fondements, un peu comme si ce préambule cahoteux servait à vérifier notre aptitude à diagonaliser.

Ce test concluant passé, le vent portant nous pousse rapidement vers le sud-ouest. Vers Harnes, seul relief dans la plaine, surgit un imposant terril. Alors que nous avalons allègrement le bitume, un automobiliste demeuré s’amuse volontairement à nous frôler dangereusement. Surpris par cette agression, je dresse un poing furieux à l’adresse du conducteur. Celui-ci s’arrête et entreprend une marche arrière avant de s’immobiliser à notre hauteur. L’air mauvais, avec l’envie d’en découdre, il nous jauge un instant. Puis craignant peut-être une riposte, il repart en nous gratifiant d’une épaisse volute de fumée noire en nous saluant avec un doigt d’honneur, histoire de nous souhaiter la bienvenue à Hénin-Beaumont.

À peine trois heures de route, déjà il faut recharger la chaudière. Mais en cette fin de journée du samedi, dans la zone commerciale que nous traversons, nous ne trouvons pour calmer notre appétit qu’un temple de la « malbouffe ». Sans enthousiasme, nous y entrons. J’essaie de décrypter le menu, mais faute d’une culture suffisante, je ne parviens pas à comprendre ce que peuvent être les « tenders » et les « country-wings ». Peu enclins à nous nourrir de sous-produits d’élevage industriel de volailles, nous quittons les lieux avec l’espoir de trouver ailleurs un menu intelligible et une pitance plus consommable. La chance nous sourit à Havrincourt : la fête de la musique anticipée nous vaut de trouver la supérette du village ouverte à une heure inhabituelle.

Ainsi rassasiés, heureux d’avoir su nous soustraire à temps à l’expérience de haute gastronomie promise par KFC, nous écrasons les pédales. Plus loin, nous redoublons d’ardeur galvanisés par les encouragements de toute la clientèle du bar de Gouzeaucourt où nous pointons à la nuit tombante. Et c’est ainsi que nous arrivons avec plus d’une heure d’avance à notre hôtel de Saint Quentin.

 

2ème jour     ST QUENTIN (Aisne) – CHATILLON SUR SEINE (Côte d’or)

289 km – Dénivelée 2325 m


Bien que cette nuit soit une des plus courtes de l’année, notre étape débute bien avant le lever du jour. Ainsi, les interminables lignes droites si monotones en journée, résumées la nuit à leur seul profil ondulant, montant ou descendant, les font paraitre un peu moins longues.

Passé Beautor ou point l’aurore (mauvaise rime qui m’amuse) la route se tortille davantage en se hissant à travers la forêt. En haut d’une côte qui mobilise toute notre énergie, nous découvrons l’entrée de l’ancienne manufacture de verrerie de Saint Gobain. Après un long parcours en forêt, au détour d’un virage, apparait l’imposante abbaye des Prémontré dont les façades classiques surprennent dans cet environnement sylvestre.

A Pinon, un café et quelques viennoiseries ingurgitées sur le perron d’une boulangerie, seul commerce ouvert à cette heure matinale, rompent la monotonie du pédalage qui commençait à engourdir nos sens. Bien vite, nous reprenons notre chevauchée. Nouvelle pause à Fère en Tardenois pour le premier pointage de la matinée, dans un bar PMU délabré qui pratique des prix sans rapport avec la classe de l’établissement. Ici on arnaque avec le sourire…

Aux abords de la vallée de la Marne, que nous franchissons par le pont suspendu de Dormans, nous découvrons les premiers vignobles champenois. Pendant un long moment, nous suivons à distance un petit groupe de cyclistes sans parvenir à les rejoindre. Malgré l’ardeur que nous mettons à pédaler, nous peinons à maintenir l’écart qui nous sépare. Enfin, à la faveur d’une longue descente nous parvenons à les rejoindre. En les dépassants nous comprenons la raison de leur vélocité : l’assistance électrique, qui trouve ses limites en descente, explique l’aisance de leur pédalage. Nous voilà rassurés sur nos capacités physiques !

Dans cette campagne, les villages sont rares et les commerces ouverts encore plus, d’autant que nous sommes Dimanche. Aussi, lorsqu’à Montmort-Lucy nous trouvons un restaurant, nous nous attablons prêts à ingurgiter sans discuter toute nourriture qu’on voudra bien nous proposer.

Après quelques montées digestives, nous devons rouler près de trois heures dans les paysages désolés de la Champagne pouilleuse, hérissée d’éoliennes. Nous devons lutter contre un mauvais vent de trois quart avant.

Discothèque à ALLIBAUDIERES (10)

Seule diversion dans ce paysage sans charme, nous découvrons à Allibaudières un paquebot dont la proue est ornée d’une statue de la Liberté. Le navire, survolé par un avion de chasse embroché sur un arbre, est amarré près d’une cabine téléphonique anglaise.

Serions-nous victimes d’une de ces hallucinations conséquentes à la fatigue accumulée ?

Puisque nous sommes en Champagne, nous agrémentons notre pointage d’Arcis sur Aube d’une bière et d’un Magnum. Jean-Luc, plus sobre, préfère le pétillement du Perrier, mais ne refuse pas la glace.

Il nous faut encore pédaler une quinzaine de kilomètres sur une interminable ligne droite avant de bifurquer vers le sud-ouest pour évoluer sur un parcours un peu moins venté. Un dernier arrêt dans un bar à Lusigny sur Barse, près de la forêt d’Orient, nous permet de nous sustenter et de reprendre quelques forces. Après cette pause salvatrice, nous remontons la plaisante vallée de la Seine. Le parcours relativement plat nous permet de musarder d’une rive à l’autre par des chemins bucoliques en évitant la grande route. À bonne allure, nous découvrons ainsi, les beaux villages qui se succèdent jusqu’à la halte du jour à Chatillon Sur Seine.

 

3ème jour     CHATILLON SUR SEINE (Côte d’or) – CHATEAU GAILLARD (Ain)

276 km – Dénivelée 2241 m


Notre étape débute nuitamment par une ligne droite de près de vingt kilomètres. Le parcours, fend la forêt de Chatillon avec une rectitude absolue, seulement interrompue en son milieu par une courbe, que rien ne parait justifier. Cette fantaisie de tracé ne semble avoir été conçue que pour maintenir éveillés les diagonalistes de passage.

À Aignay le Duc, une erreur de parcours nous contraint à poursuivre jusqu’à Étalante par une agréable petite route en fond de vallée, alors que le parcours prévu passait par le plateau. Cette méprise nous oblige à user du plus petit (plateau) pour nous extraire de la vallée par une sévère montée.

Nous arrivons à Sainte Seine l’Abbaye au moment même où le boulanger débute sa tournée. Grâce à lui nous pouvons déjeuner avec quelques viennoiseries dans le café où nous nous sommes arrêtés.

Nous poursuivons jusqu’à Pont de Pany dans la vallée de l’Ouche, avant de remonter sur le plateau dominant les côtes de Beaune et de Nuits Saint Georges. Un calicot accroché sur le clocher du village d’Urcy souhaite la bienvenue aux coureurs du tour de France, qui bientôt emprunteront ce même parcours. Lorsque quelques semaines plus tard, je suivrai cette étape, j’observerai que les coureurs avalent cette montée de six ou sept kilomètres avec le grand plateau à une vitesse de 34km/h. Si j’en crois les données enregistrées par le GPS, nous avons gravi cette même côte sur nos plus petits développements à une vitesse n’excédant pas 14 km/h, mais il est vrai que nous étions plus chargés (en tout cas pas de la même manière !).

À la sortie de Villers la Faye, nous dévalons vers la Saône. Dans la plaine, dépourvue des zones boisées où nous cheminions jusqu’alors à l’abri du vent, notre progression est freinée par les bourrasques. Elle parait plus difficile, d’autant que la chaleur devient plus oppressante.

Un peu après Palleau, nous négligeons les panneaux annonçant une déviation, certains qu’avec nos montures, nous saurons passer n’importe où. Arrivés au beau milieu d’un chantier de construction d’un gazoduc, nous mesurons à quel point nous avons préjugé de notre aptitude à triompher de tous les obstacles. La tranchée profonde d’au moins quatre mètres est ouverte dans une terre argileuse follement amoureuse. Elle colle à nos chaussures et rend très hasardeuse notre descente et notre remontée sur les talus abrupts du déblai. Pareils à des bourricots, mais certainement plus maladroits qu’eux, nous constatons le poids énorme que nous trimballons sur les routes de France, tels des ânes bâtés.

À Verdun sur le Doubs, nous déjeunons en compagnie d’ouvriers avec lesquels nous discutons de la désertification des campagnes que nos périples nous amènent souvent à constater.

Malgré l’absence de relief, la reprise après le repas est difficile. Le vent semble encore avoir gagné en intensité et la chaleur devient de plus en plus accablante. Nous nous arrêtons à Thurey, à une dizaine de kilomètres d’un village où mes parents ont résidé quelques années. L’épicier me dit avoir fréquenté un collège où mes sœurs étaient scolarisées à la même époque : La France est grande, mais le monde est petit.

Un peu défaits, nous arrivons à Louhans en retard d’une heure trente par rapport à notre feuille de route. Il reste encore 86 km avant la nuit. Autant dire qu’elle sera écourtée…

Néanmoins, redoublant d’énergie, nous nous efforçons de ne pas accroître notre retard. Vers 18 heures nous atteignons Saint Amour, au pied de la corniche jurassienne du Revermont. Je me délasse un instant en plongeant les jambes dans le bassin d’une fontaine. Je tente de persuader Jean-Luc des bienfaits de ce bain improvisé, mais pas vraiment convaincu, il choisit de ne pas m’imiter.

Tandis que la chaleur retombe, le vent heureusement faiblit. Nous atteignons bientôt Saint Etienne du Bois où nous nous sommes détournés pour pouvoir trouver notre repas vespéral. L’amabilité du personnel, des clients de la pizzeria et les encouragements qu’ils nous prodiguent nous permettent bientôt de remonter en selle, réconfortés et confiants.

Sur cette route, à flanc de coteau, nous dominons la plaine de la Bresse en traversant par une route ondulante les villages coquets de Jasseron, Ceyzariat, Tosiat, aux belles maisons de pierre. En regardant le soleil couchant, mais toujours en pédalant vigoureusement, nous comblons une partie de notre retard.

À la sortie de Pont d’Ain, lors d’un contrôle routier, un gendarme nous souhaite bonne route, non sans nous avoir félicités pour la qualité surprenante de nôtre éclairage par moyeu dynamo. Il pensait que nous étions à scooter !

Encore une dizaine de kilomètres et nous rejoignons enfin Château Gaillard. La nuit ne dépassera pas cinq heures

 

4ème jour     CHATEAU GAILLARD (Ain) – ESPINASSES (Hautes Alpes)

247 km – Dénivelée 3112 m


Lorsque la journée promet d’être venteuse, partir à une heure très matinale nous laisse d’ordinaire un peu de répit. Aujourd’hui, à peine sorti de l’hôtel, nous ressentons déjà les assauts du vent. Si l’on considère la dénivelée promise pour la journée, ce n’est guère rassurant.

Mais une heure et demie plus tard, à Montagnieu après le passage du Rhône, le vent finit par s’essouffler comme par enchantement. Preuve qu’il ne faut jamais désespérer !

Cette trêve providentielle nous met du baume au cœur, nous pédalons allègrement malgré le relief plus marqué à partir de Morestel.

Une dizaine de kilomètres après la Tour du Pin, nous nous engageons sur un chemin qui, au-delà d’une ferme, se poursuit sans revêtement. Par mégarde, lorsque j’ai établi le tracé, je n’ai pas remarqué le court tronçon de chemin de terre qui rejoint plus haut la route départementale. Qu’à cela ne tienne, nous poursuivons à pieds en poussant nos vélos sur quelques hectomètres. C’est là, au débouché de ce chemin pentu que nous rejoint le sariste Patrick Guinard. Il est un peu étonné de nous trouver à pareil endroit.  Tandis que nous faisons connaissance, nous dévalons à grande vitesse le long faux plat descendant qui précède le lac de Paladru. Nous nous séparons dans les environs de Charavines.

Après une courte pause à Moirans, nous nous engageons sur la piste cyclable qui longe l’Isère et le Drac. A l’abri des frondaisons, nous sentons à peine venir la canicule annoncée. En sortant de la piste, l’absence d’ombre et la chaleur étouffante nous saisissent. Nous pointons à Echirolles et entreprenons la montée vers Pont de Claix et Saint Georges de Commiers. Nous circulons sur la partie de route dépourvue d’ombre. Jean-Luc, pourtant très affuté par ses parcours bretons est à la peine. D’habitude, il me devance, surtout lorsque la route s’élève. Je sens qu’il a perdu une partie de ses moyens. Nous faisons halte dans une boutique qui vend des produits régionaux et où on nous prépare de copieux sandwichs.

Jean-Luc, visiblement éprouvé m’indique qu’il ne se sent plus en état de poursuivre. Il est vrai que nous ne nous sommes guère ménagés et que les conditions ont souvent été difficiles au cours des deux jours précédents. Le thermomètre du GPS annonce 35° à l’ombre et la température pourrait encore augmenter.

Aussi, je ne crois pas utile de l’inciter à persévérer car il reste encore près de 2000 m à gravir et près de 120 km à parcourir pour atteindre le terme de l’étape. Je ne suis pas trop inquiet car je sais qu’il trouvera une solution de repli chez sa fille résidant dans les environs de Grenoble. Vers13 h, nous nous séparons.

Habitué à la canicule par de très longs séjours sous des latitudes tropicales et équatoriales, je décide de poursuivre. Pour autant, en enfourchant ma monture je ne suis pas assuré de pouvoir continuer longtemps. Qui vivra, verra !

Très vite, je mesure mon inconscience à repartir alors que le soleil est au zénith. Après cinq ou six kilomètres d’ascension, j’aperçois un maçon et lui emprunte son tuyau d’arrosage. Je me douche longuement et abondamment, j’arrose mon vélo, me désaltère et repart dans la chaleur suffocante. Constatant que la douche improvisée a été bénéfique, je rentre un peu plus loin dans un garage à Saint Georges de Commiers et reproduis le même scénario sous l’œil amusé du garagiste. Cette nouvelle douche me permet de me hisser sur le plateau de la Matheysine où, avec un peu de vitesse, j’ai la sensation de me réchauffer un peu moins vite. À La Mure j’avale d’un trait deux grands Coca et de l’eau jusqu’à ce qu’elle reflue au niveau du gosier. Au-delà de cette ville, je connais le parcours jusqu’à Corps, distant d’une trentaine de kilomètres. La descente vers le Pont de Ponssonas me permettra d’être ventilé malgré la chaleur accablante. Même avec ses pourcentages à deux chiffres, la montée vers le col de Saint Sébastien sera j’en suis sûr un havre de fraicheur.

Au fil des kilomètres, mon appréciation de la situation se révèle être juste.

Sur l’étroit plateau qui domine le Drac, jusqu’au pied du massif de l’Obiou, l’air redevient un peu plus respirable. Je plonge vers le barrage du Sautet avant d’affronter la remontée vers Corps, courte mais éprouvante.

« Qui veut voyager loin, ménage sa monture » dit le proverbe. À Corps, je juge que le bourricot pédalant a bien mérité une glace et une bière.

Sur la route Napoléon, je suis agréablement surpris : la circulation est calme et le profil, bien que relevé, est à ma portée. À petite vitesse, je gravis le col Bayard dans une atmosphère redevenue supportable. Mais lorsque j’arrive à Gap, à force de me ménager, j’accuse un retard d’une heure et demie.

Par bonheur, au premier carrefour à feux, je trouve une pizzeria accueillante (une de plus). Vers 20h30, la bête rassasiée a repris des forces. Elle se laisse glisser vers la vallée de la Durance par une route déserte dont le profil est agréablement descendant.

En arrivant à Espinasses à la nuit tombée, je me dis qu’observer la lente ascension de la lune au firmament, longtemps après avoir profité au déclin du jour, est un des privilèges du diagonaliste.

 

5ème jour ESPINASSES (Hautes Alpes) – MENTON (Alpes maritimes)
223 km – Dénivelée 2715 m


Profiter des derniers moments de la clarté nocturne et voir poindre l’aurore est un des autres privilèges réservés à la caste des pédaleurs forcenés. Ce jour-là ne déroge pas à la règle. Autant dire que la nuit a été courte, à peine plus de quatre heures de sommeil.

Une quarantaine de kilomètre plus loin, alors que le jour s’est levé, je m’attaque au col de la Cayolle perché à une altitude de 2327m.  Connaissant mes piètres qualités de grimpeur, j’estime qu’avec ce bât, il faudra plus de deux heures et demie à la bourrique pour atteindre le sommet, distant de vingt-neuf kilomètres.

Mais bien vite, j’oublie le décompte à rebours obsessionnel des bornes pour m’abandonner à la contemplation d’un paysage d’une beauté saisissante.

Même si j’échoue dans ma tentative, je suis déjà comblé par cette nature extraordinaire qui se livre sans retenue aux meilleures heures de la journée :

– Où, sinon à la Cayolle, peut-on voir pareil panneau de signalisation « Attention, marmottes sur 15 km » ?

–  Où, encore, peut-on trouver un café, dont le décor est immuable depuis les années trente, et dans lequel une dame octogénaire vous sert avec l’accent provençal ?

 – Où, enfin, peut-on rouler dans un pareil environnement sans rencontrer plus de quatre voitures pendant plus de deux heures ?

J’arrive au sommet du col avec près d’une heure de retard. À cet endroit, ma marge de sécurité par rapport au délai est réduite à une demi-heure. La partie est loin d’être gagnée !

Par chance, le handicap qui me tient à une dizaine de kilos en dessous du quintal et une certaine aptitude pour la descente viennent à la rescousse.

Sans négliger l’extase, je dévale les pentes aussi vite que je les ai montées longtemps. Vous me suivez… ça m’étonnerait … car je suis déjà très loin et pour une fois devant !

La descente de la Cayolle vers la haute vallée du Var, est toute aussi belle que la montée. Mais les paysages, moins sauvages, sont très différents de ceux du versant opposé. Ils mériteraient une plume plus talentueuse pour être décrits avec justesse et en faire percevoir l’indicible beauté.

Le mieux, pour tout dire est encore d’y aller.

Passé Guillaumes je découvre les gorges de Daluis, paysage minéral tout aussi étonnant. Partout des rochers abrupts teintés de toutes les nuances de l’ocre dévoilent un paysage nouveau à chaque virage. La route en corniche est sinueuse à souhait et les 17 tunnels qui la jalonnent ajoutent encore de l’agrément au parcours.

Après ce feu d’artifice, je rejoins à Pont de Gueydan, la route du haut Var et le vent contraire. Au-delà du village fortifié d’Entrevaux et de la petite ville de Puget-Théniers, devenus familiers au fil des diagonales, je dois aussi affronter la circulation.

Bien que le profil soit descendant, le vent qui s’engouffre dans la vallée parvient à ralentir ma progression vers Nice. Après un effort soutenu, je rejoins enfin la promenade des anglais. Des travaux sont en cours pour la sécuriser. Je pense au drame des quatre-vingt victimes d’une folie meurtrière attisée par la haine

Sur la moyenne corniche, la grisaille et l’heure fatidique qui approche ne me laissent guère de loisirs pour admirer la baie de Villefranche et la presqu’île de Saint Jean Cap Ferrat.

En cette fin de journée, la barbarie automobile se manifeste à nouveau.

« Sus aux cyclistes, ces gens incapables de s’offrir une voiture ». C’est, me semble-t-il, le mot d’ordre de ces chauffeurs ou plutôt chauffards russes, monégasques ou italiens, qui font vrombir leurs puissantes voitures en frôlant dangereusement le pauvre cycliste égaré sur leur terrain de jeu. Je pourrais conclure en disant que le nouveau riche de la côte d’Azur ne vaut guère mieux que le prolétaire de Hénin Beaumont.

Mais, ni l’un, ni l’autre, malgré leur stupidité, ne sont parvenus à gâcher le plaisir de cette diagonale finalement réussie.

 

  Album photo de cette excursion



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