2012 – Diagonale HENDAYE / DUNKERQUE

Synthèse

  Trajet : Hendaye / Dunkerque

  Délai : 88 h

  Dates : du 24 au 27 juin 2012
  Distance : 1124 km
  Dénivelée : 5605 m
  Participants :

Marzais Christophe

Gauthier Gérard

  Homologation FFCT : 12-080
    Étapes
1 HENDAYE (64) / JONZAC (17) 311 km 1145 m
2 JONZAC / NOUZILLY (37) 298 km 1590 m
3 NOUZILLY / FORGES-les-EAUX (76) 293 km 1655 m
4 FORGES-les-EAUX / DUNKERQUE (59) 222 km 1215 m



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Correspondance à 18h08…

 

1er jour : HENDAYE (Pyrénées-Atlantiques) / JONZAC (Charente-Maritime)

311 km – Dénivelée 1145 m


Hendaye, 3h30 : Retranché dans le commissariat, protégé par les grilles fermées, le planton veille seul sur la ville. Habitué à la quête des cyclistes qui rodent nuitamment dans les parages, il nous dit être désarmé, sans tampon, et nous conseille par interphone d’aller nous faire tamponner chez ses collègues de Saint Jean-de-Luz.

Dépités par l’impossibilité d’accomplir le pointage rituel dans le respect de la liturgie diagonaliste, nous confions, la mission d’authentification du départ à un distributeur de billets de banque qui nous laisse partir sans même un encouragement.

La tranquillité nocturne de la corniche basque ne dure pas. Vers Bidart nous commençons à rencontrer des fêtards excités qui se défoulent dangereusement au volant de leur voiture. La fête finie, il faut rentrer ; dans une côte, un jeune homme secoue sa mobylette avec l’espoir de la faire avancer à peine plus loin avec quelques vapeurs d’essence oubliées au fond du réservoir.

Aux abords d’Anglet, des énergumènes se disputent à la sortie d’une discothèque. En choisissant le 24 juin comme date de départ, je pensais éviter les pirates qui sévissent sur la route au soir du solstice, jour de la fête de la musique ; j’ignorais simplement que les basques fêtaient aussi la Saint-Jean avec encore plus de ferveur.

Les rencontres douteuses avec une faune éméchée durent jusqu’au petit matin. Vers Vieux-Boucau, Christophe, apercevant des jeunes qui bavardent au beau milieu de la piste cyclable, ouvre la route en sifflant brièvement entre ses doigts. Le groupe de fêtards s’écarte à peine à l’approche de mon comparse, qui maintient toujours son allure. Par prudence, je rejoins la route…

Tel un sanglier chargeant, que rien ne pourrait arrêter, Christophe fonce. J’assiste alors à la mise sur orbite involontaire d’un sandwich qui devait rassasier l’un des noctambules attardé sur la piste cyclable. Propulsé par les quelques mégatonnes de poussée du cycliste, qui écrase les pédales sans s’apercevoir des effets de sa puissance sur l’objet, l’en-cas est satellisé vers les espaces intersidéraux.

Plus loin vers Molliets, des lapins semblent en alerte : « Attention Christophe arrive ! », et les lapins affolés déboulent, imprévisibles, dans toutes les directions comme autant de Christophe pédalant.

À peine le temps d’avaler un café et quelques viennoiseries, et déjà la folle poursuite reprend. Je redoutais la monotonie du parcours landais avec ses interminables lignes droites au travers des pinèdes, sur des routes désespérément plates. À vrai dire, je n’ai pas le temps de m’apercevoir de l’uniformité du paysage, tant je suis occupé à rester dans le tempo de ce pédalage vigoureux.

Christophe me promet bien un peu de repos, lorsque nous rejoindrons sa cousine et son époux qui doivent nous retrouver à Pontenx-les-Forges. Mais la halte est de courte durée, le temps d’évoquer quelques souvenirs, d’immortaliser la rencontre par une photo, de se rafraîchir un peu et déjà le pédalage effréné reprend de plus belle.

Peu habitué à mener un train d’enfer sur ce type de randonnée, perturbé sans doute par un réveil plus que matinal, je me sens soudain vidé de toute énergie. Tous les symptômes de la fringale sont là. Fort heureusement, à Parentis-en-Born, nous débouchons sur la place de l’église où se tient le marché dominical. Après avoir ingurgité quelques figues sèches, je me gave de cerises, de pêches, de melon et de bananes. Avec nos lampes frontales surmontant nos casques et l’empressement que je mets à me rassasier, nous suscitons l’intérêt amusé des badauds qui nous interrogent en découvrant sur nos vélos la plaque indiquant l’objet de notre périple.

Pour achever de me requinquer, nous nous arrêtons un peu plus loin devant l’étal d’un mareyeur. Au fur et à mesure qu’il écaille, nous dégustons les huîtres sans même quitter nos montures. Contrairement à mes habitudes, les mollusques ne connaîtront pas cette fois le bonheur de finir leur vie noyés dans le Muscadet…

Un peu avant midi, à Sanguinet, alors que nous nous restaurons, « l’homme pressé » qui connaît mes moindres travers et mon faible goût pour les eaux gazeuses même fortement minéralisées, ne tarde pas à me proposer un nouveau défi.

Pour m’appâter, il me promet une excellente bière, à l’embarcadère de Lamarque, à condition que nous puissions traverser la Gironde avec une heure et demie d’avance sur l’horaire prévu. En d’autres termes, arguant du vent favorable, il me propose ni plus, ni moins, de couvrir une petite centaine de kilomètres en un peu plus de trois heures…

Aidés par un fort vent arrière, nous approchons de Bordeaux par Marcheprime et Martignas-sur-Jalles. L’itinéraire préparé et assimilé dans ses moindres détails et les pistes cyclables bien conçues nous facilitent le contournement Ouest de l’agglomération. Déjà, nous abordons les vignes du Médoc.

Le parcours s’infléchit nettement vers le nord-Ouest à partir de Margaux. Ce changement de cap nous contraint à ralentir un peu l’allure; le vent, ami des dernières heures, a maintenant décidé de nous contrarier et d’assécher nos papilles.

À quelques encablures de Lamarque, Christophe s’éclipse pour aller commander son eau pétillante et la meilleure des bières : celle que j’ai gagnée à la sueur de mon front et à la force de mes mollets.

Le pari tenu et la bière bue, je m’allonge sur le pont supérieur du bac. Bercé par le ronronnement du moteur, massé par les tôles du sol qui vibrent, je sombre aussitôt dans un sommeil réparateur qui dure aussi longtemps que la traversée de la Gironde.

Sur l’autre rive, alors que nous remontons la piste cyclable entre Blaye à Etauliers, « l’homme pressé » me parle du prochain match France-Espagne dont il espère bien voir le début. Pour le coup, je comprends enfin la raison de ce pédalage frénétique !

– « Très peu pour moi, le foot, je n’y connais rien…Pendant la dernière coupe du monde, mon épouse devait m’expliquer les règles à chaque match… Alors, autant te le dire, tout de suite, je ne pédalerai pas plus vite pour regarder onze médiocres footeux surpayés…. Mon truc, c’est plutôt le vélo, à vitesse modérée, surtout lorsque la campagne est belle sous le soleil, comme ici et que ça monte ! »

Mais pour parvenir à le convaincre, il faut être proche de son interlocuteur et donc lui coller au train. « L’homme pressé », toujours à son idée, l’a bien compris et s’efforce d’entretenir la conversation aussi longtemps qu’il peut. Non seulement il est fort, mais il est malin !

Jusqu’aux abords de Jonzac, il use de cette stratégie pour m’entraîner inconsciemment à rouler à son rythme. Une fois son objectif atteint, il relâche enfin son train d’enfer.

– « On a bien roulé, Christophe ! Je suis content… Finalement, tu vas voir le début du match… »

 

2ème jour :    JONZAC (Charente-Maritime) / NOUZILLY (Indre-&-Loire)

298 km – Dénivelée 1590 m


Lorsqu’on interroge un diagonaliste sur les motifs qui l’incitent à entreprendre de tels périples, il ne manque jamais d’évoquer le plaisir et le bien être qu’il ressent à pédaler dans une campagne bucolique. Et croyez moi, sa réponse est sincère…

Pourtant, sortir du lit à quatre heures du matin pour s’enfoncer dans la nuit noire sur des routes mal balisées au revêtement douteux, enveloppé par un crachin pénétrant qui promet de durer, s’apparente d’avantage à une sinécure qu’à un début de jouissance.

Quand à cette heure improbable, égaré en un lieu incertain, ce cycliste rencontre l’autochtone providentiel, et que ce supposé géographe lui indique une fausse direction, le cycliste peut oublier qu’il pédale pour le plaisir.

Quand de surcroît, l’indigène à la science limité ne voit dans ce pauvre fou au casque clignotant qu’une possible annexe d’un bureau de tabac, le diagonaliste peut alors être tenté de se demander « Que diable suis-je donc venu faire dans cette galère ? ».

Mais l’obstination, trait commun à tous les diagonalistes, vient toujours à bout des pires situations. Le panneau « Celles », qu’on cherchait, finit par apparaître et puis on s’aperçoit que Cognac n’est pas aussi loin de « Celles », qu’on croyait.

Encore un peu de patience ! Le crachin nocturne, qui entre temps a muté en pluie drue, finira bien par s’arrêter…

À Beauvais-sur-Matha, pendant la pause du petit déjeuner le ciel devient plus clément. Quelques tours de manivelle et un estomac bien rempli diluent la poisse du début de journée dans un début d’allégresse…

La progression se poursuit tranquille, facile, sur des chemins déserts, suffisamment ondulants pour ne pas rendre plus monotone la campagne noyée dans la grisaille. Fontaine-Chalindray, Chef-Boutonne, les villages se succèdent sans vie apparente. Des panneaux nous rappellent que nous sommes sur la route du Chabichou, mais aussi loin que porte mon regard, je ne vois pas la corne d’une seule biquette.

Peu avant midi, nous pointons à Rouillé. Là, une dame volubile nous renseigne. Elle a la voix distinguée d’une personne qui grille son paquet de gauloises quotidien, en l’entrecoupant de grosses larmes de whisky à raison d’une lampée toutes les trois cigarettes.

       – « Le restaurant, vous le trouverez à Jazeneuil, à l’entrée du village vous prenez à droite, puis à gauche et de nouveau à droite après un tout petit, mais tout petit giratoire…vous voyez c’est pas compliqué, c’est avant le pont, mais il ne faut pas passer dessus …. »

Nos visages parlent d’eux mêmes, elle comprend que nous n’avons pas compris…

Et pour cause, à chaque indication, elle joint le geste à la parole en inversant par le geste chaque indication qu’elle formule de sa voix éraillée. De sa main, elle n’hésite pas à contourner le tout petit giratoire dans le sens inverse ou nous sommes censés l’aborder.

Soudain, elle réalise ce qui nous perturbe et s’explique :

       – « Ah oui ! Je suis ambidextre … »

Nous la remercions et renonçons à lui expliquer qu’elle n’est pas ce qu’elle prétend être. Le temps est précieux sur une diagonale.

L’après-midi, poussés par un fort vent de sud-ouest, nous avalons un parcours dont nous connaissons chaque côte, chaque ruisseau et les moindres virages. Nous entrons dans notre belle Touraine à Faye-la-Vineuse, beau village au si joli nom.

Alors que je tourne vers le pont pour traverser la Vienne à L’Île-Bouchard, j’aperçois un peu à l’écart sur la rive, un cycliste, le premier depuis le départ d’Hendaye. Il porte le maillot de notre club. Je réalise que c’est Jean-Claude, mon compagnon de plusieurs Diagonales et Flèches, venu à notre rencontre avec Christian[1].

Nous combinons pointage et pot de l’amitié avant de reprendre la route en quatuor. Pour une fois, c’est moi qui insiste pour que nous rejoignons Langeais au plus vite.

J’informe mes compagnons de route de la raison de cette soudaine accélération : il nous faut arriver avant 18h08. Aidé par un vent totalement favorable, nous nous catapultons vers les bords de Loire. Les jambes tournent comme jamais elles n’ont tourné. Enfin les tours du château de Langeais apparaissent au bout du pont suspendu, mais déjà le train de 18h08 quitte la gare. Serait ce déjà trop tard ?

Bien que mon vélo ne compte que 52 dents pour la grande plaque et 13 quenottes sur le petit pignon, j’embraye sur le 54/10 en puisant dans mes dernières ressources. Pour accroître l’efficacité du pédalage, j’enclenche le gyrophare et fait hurler la sirène. Tant d’énergie dépensée pour développer la puissance maximale ne sert qu’à une pitoyable performance : je caresse lourdement le bitume…

Je me relève. Heureusement la chaussée est intacte, le vélo aussi, mais ma cuisse est éraflée. Je repars.

Sur la place de la gare, mes deux collègues de bureau, Catherine et Sandrine, des habituées du train de 18h08 sont là, hilares, elles ont déjà eu temps de faire connaissance avec des cyclistes plus véloces et surtout plus adroits que moi. Le docteur Christian sort de sa trousse de vélo des granulés d’Arnica, tandis que l’infirmière Catherine me badigeonne le mollet d’un gel de même nature afin de me préserver du feu du lendemain. Je finis par me demander si la route n’a pas été savonnée pour permettre de démontrer les bienfaits de la médecine homéopathique.

Une quinzaine de kilomètres après la séparation avec Christian et Jean-Claude, Jean-Luc [2] nous rejoint dans les environs de Pernay. Il a tenu à rouler avec nous sur cette Diagonale qui aurait du être sa première. Partie remise…

Le dernier compagnon de route parti, le crachin qui nous « brumisait » agréablement, lorsque nous roulions fort, vire à la pluie. Elle dure jusqu’à Nouzilly, notre point de chute du jour.

Les derniers kilomètres de la journée nous conduisent vers la maison de campagne des parents de Christophe. C’est une maisonnette perdue au milieu des bois. On l’atteint par des chemins secrets cachés sous la voûte des arbres. Cette fin de parcours dans la pénombre humide, pleine de courbes et de côtes, aussi raides qu’inattendues, évoque « les routes à la Pierrot » [3]. Lui seul et peut-être ceux qui habitent dans ces lieux mystérieux les connaissent.

En regardant Christophe qui me guide vers la « maison de Boucle d’or », j’ai l’impression d’être le deuxième ours (le premier pédale devant moi) et je me demande qui peut bien être le troisième…

Trempés jusqu’à la moelle, nous posons pied à terre au bout d’un chemin cahoteux, c’est là.

Dans la maison de Boucle d’or, une bonne odeur de rognons, mitonnés par le père de Christophe emplit la pièce. Nous quittons nos drilles dégoulinantes et dégustons la spécialité du chef en regardant tomber la pluie.

 

3ème jour :     NOUZILLY (Indre-&-Loire) / FORGES-les-EAUX (Seine-Maritime)

293 km – Dénivelée 1655 m


À cinq heures du matin, Papa Marzais est debout pour nous voir partir.

Nous reprenons le petit chemin de la veille. En sens inverse, il parait moins long, preuve que les rognons sont une nourriture réparatrice, surtout lorsqu’ils sont digérés dans un endroit aussi paisible que celui où nous avons passé cette courte nuit.

Sur la route de Chemillé-sur-Dême, lieu de notre prochain pointage, une crevaison nous retarde un peu. Elle laisse à l’aube le temps de venir et nous permet ainsi de photographier le panneau de sortie d’agglomération à la lumière du jour naissant.

Sous un ciel toujours plombé, nous remontons la vallée du Loir si chère à Ronsard. Entre Coutures et Savigny-sur-Braye, avant la halte du petit déjeuner, nous n’évitons pas la dernière averse de la journée. Familiers de ces parages où nous aimons venir parfois, nous trouvons aujourd’hui, par la faute du temps maussade qui persiste, moins d’attrait à randonner dans ces lieux,

Tandis que je gravis la côte qui mène au centre-ville, la tour de Mondoubleau m’intrigue un moment ; construite en tronc de cône ou dangereusement inclinée ? Comme mes yeux ne parviennent pas à distinguer, je dois encore pédaler un peu pour pouvoir trancher entre ces deux hypothèses. Preuve que tout est affaire de point de vue : dans un cas la stabilité est assurée, dans l’autre elle est compromise. Ce sujet de méditation qui aurait pu m’occuper encore quelques kilomètres s’évanouit au dernier virage : la tour de Mondoubleau à l’instar de sa rivale de Pise penche bel et bien.

Mais si la tour penche, elle pourrait donc tomber. Comment et quand s’amorcera la chute ? Et c’est reparti pour un tour…

Il en est presque toujours ainsi en diagonale. Lorsque la route traverse des contrées sans véritable attrait et que l’effort pour avancer reste modéré, le pédaleur divague. Une route droite, plate et monotone, suffit pour que l’esprit du cycliste s’égare. Il emprunte alors des chemins inexplorés par des détours aussi insolites que tortueux.

Pour l’heure les routes du Perche se prêtent à cette divagation, j’en oublie même de m’intéresser aux villages traversés : Le Gault-Perche, Les Autels-Vilevillon ou encore Happonvilliers.

Lorsque je redescends sur mes pédales, c’est pour profiter du numéro offert par mon coéquipier. J’ai beau le connaître, il me surprend toujours. À lui seul, il assure le spectacle : dans une légère descente heureusement déserte, je le vois pianoter un moment sur son téléphone portable. Lorsque l’objet ne constitue pas un prolongement de sa main, il devient une sorte de pendentif d’oreille.

Lorsque Christophe, menant toujours bon train, lâche l’indispensable accessoire, c’est pour plonger adroitement sa main dans son bagage arrière. Tel un magicien, il en extrait un œuf. Et pas n’importe quel œuf, un œuf de canne, qui selon lui possède toutes les vertus, même au bout de trois jours de sacoche. Car, j’ai oublié de vous le dire, Christophe est « Bio » et je suis tenté d’ajouter « Nature » !

Je le regarde en riant de bon cœur avec lui, tandis que, lancé à pleine vitesse, il tapote la coquille de l’œuf sur le cintre avant de le « dépiauter ».

À Chateauneuf-en-Thymerais, alors que je m’installe à table, je reçois un texto envoyé depuis un endroit que j’hésite à nommer. C’est Christophe. Par mon intermédiaire, il passe commande :

« Prends moi crudités + sauté de dinde au curry + riz , avec Badoit ou Saint-Yorre, Merci » .

Le vent toujours favorable et la route éternellement plate, à l’exception d’un raidillon vers Saulnières, facilitent notre progression vers SaintRemy-sur-Avre. Arrivés là, après avoir traversé les deux tiers de la France dans la sérénité des routes de campagne, nous sommes soumis à l’angoissante épreuve de la remontée d’un tronçon incontournable de la Nationale 12. Depuis longtemps, la route vers la Bretagne a cessé d’être cette voie poussiéreuse sur laquelle se lançaient les cyclistes à moustaches des premiers Paris / Brest / Paris. Si ces coureurs revenaient aujourd’hui, ils seraient effrayés par le bruit infernal du ferraillement des camions mêlé à la stridence des pneus et par la vitesse des mastodontes, venus de toute l’Europe pour disputer une course sans fin.

Lorsqu’enfin nous quittons la nationale à la-Madeleine-de-Nonancourt, j’ai l’impression d’être un rescapé de l’enfer à qui on vient d’imposer de jouer sa vie à la roulette russe. De tous les aléas d’une diagonale, la route à camions est celui que je redoute le plus. On réchappe toujours à la grêle, parfois à la tempête, souvent au froid et aux sauterelles, mais rarement aux camions ….

Nous devons encore rouler longtemps sur une route monotone avant d’atteindre Saint-Aquilin-de-Passy où nous bifurquons pour rejoindre la vallée de l’Eure par des chemins verdoyants enfin un peu plus sinueux. À la sortie de Chambray, la route monte un long moment avant de replonger sur Gaillon vers la vallée de la Seine.

En avance par rapport à notre feuille de route, nous nous attardons un peu dans la petite ville pour un casse-croûte et une pause bière d’abbaye et eau minérale pétillante. À chacun selon son envie, je vous laisse deviner qui boit quoi…

Le bar est tenu par un ex-tourangeau qui s’épanche. Le mal du pays l’incite à énumérer tous les noms des villages des deux rives de la Loire entre Amboise et Tours, sans négliger les lieuxdits. Après cette révision de la géographie locale, il me gratifie de son arbre généalogique, mais s’arrête, faute d’information, un peu avant Hugues Capet. Il finit par me récompenser de la patience que j’ai eu à l’écouter, tandis que Christophe téléphonait. Il remplit mes bidons avec de l’eau et de la grenadine. Mon début de surdité a parfois des avantages, mais ça il l’ignore.

Une crevaison, une petite erreur de parcours et un patron de bistrot un peu trop loquace ont fait fondre l’avance. Mais lorsque nous franchissons la Seine, aux Andelys, nous collons à peine à l’horaire prévu par la feuille de route. Dommage, j’aurais aimé m’attarder un peu pour profiter du site de cette boucle de la Seine dominée par la forteresse de Château Gaillard.

Il nous reste une cinquantaine de kilomètres à couvrir sur la partie la plus accidentée de la Diagonale, avant de rejoindre notre hébergement situé aux confins de la Normandie et aux portes de la Picardie.

Nous roulons chacun à notre rythme ; de temps en temps Christophe m’attend pour que l’écart reste raisonnable. La longue descente qui précède Lyons-la-Forêt est bienvenue. Là aussi, j’aurais aimé prendre un peu de repos sous la charpente de la belle halle en bois. Mais au fil de ces voyages à vélo, j’ai appris à estimer à la lecture de la carte, à l’état de mes jambes et à celui de mon mental, le temps nécessaire, pour atteindre le lieu de la prochaine bière. Cette science montre que la combinaison de ces divers paramètres rend ce temps excessivement variable !

Pour l’heure, il en faut encore une et demie avant d’atteindre Forges-les-Eaux, où, malgré un nom de mauvais augure, on trouve aussi le breuvage préféré du moins sportif des deux équipiers !

 

 

4ème jour :  FORGES-les-EAUX (Seine-Maritime) / DUNKERQUE (Nord)

222 km – Dénivelée 1215 m


Tout champion a forcément un point faible. Et pour Christophe, c’est un besoin de sommeil au-delà de la limite raisonnable sur une Diagonale. Alors dans la chambre, chaque soir depuis le départ, se joue un curieux marchandage :

–  « À quelle heure part-on ? » demande le gros dormeur

–  « à quatre heures trente »

–  « à cinq heures, ce serait bien, Tu ne crois pas ? »

–  « Non, je ne crois pas … ».

Alors que Christophe règle son téléphone sur cinq heures au prétexte qu’il se prépare plus rapidement, l’acolyte du champion règle le sien sur quatre heures trente.

Or ce matin là, le premier téléphone à sonner n’est pas celui qui devrait !

–  « Ce n’est pas grave, tu verras, on va rattraper ».

À peine réveillés, les kilomètres défilent. À Aumale une petite hésitation sur le parcours me permet de souffler un peu avant la sortie de la ville, là où au pied d’un viaduc, débute une route enroulée autour d’une belle bosse dominée par le village de Beaucamps-le-Jeune.

À bonne allure, nous entamons notre remontée vers le nord par la campagne picarde, et à Airaines lorsque nous pointons dans le garage Renault, le handicap de notre départ retardé est déjà effacé.

–  « Je te l’avais dit, comme d’habitude, on a rattrapé ».

Je ne conteste pas et me contente de le suivre sur la route déjà parcourue, un an plus tôt, en sens inverse, sur Dunkerque/Perpignan.

Pour remonter au nord de la vallée de la Somme, la variante à cet itinéraire à partir de L’Étoile, se révèle moins plaisante : le revêtement rugueux inconfortable ralentit notre marche. Cette progression plus laborieuse nous permet de profiter d’odeurs, qui loin d’évoquer un endroit bucolique où butinent les abeilles, nous rappellent que nous traversons la terre promise des mouches bleues.

À l’approche de chaque village, Vauchelles-les-Domart, Gorenflos ou Dompqueur nous espérons trouver la petite boulangerie, avec des croissants tout juste sortis du four, à deux pas d’un bistrot accueillant.

Notre seule trouvaille, à Cramont est un bar tabac dont l’enseigne « Chez Christophe » ne propose guère que des jeux de hasard et un café que nous ne pressentons pas fameux.

Diagonalistes indignes, insensibles au déclin du petit commerce, nous nous contentons de la photo de circonstance et passons notre chemin, sans même culpabiliser.

Enfin à Auxi-le-Château, nous trouvons la pâtisserie et le café réunis en un seul lieu. Pour fêter l’évènement, Christophe s’offre une « tête de nègre » que par décence la serveuse préfère nommer « boule de neige ». Voyant que la dégustation de la meringue le métamorphose en clown blanc, elle lui propose une cuillère. Il refuse, car croquer la friandise à pleines dents lui rappelle son enfance.

Si j’en juge par l’état de la table, qui devra être déneigée après notre départ, je trouve que « boule de neige » est le nom le plus approprié pour cette pâtisserie.

Malgré une erreur de parcours entre Œuf-en-Ternois et Anvin, nous continuons à prendre de l’avance par rapport à notre feuille de route. La perspective de la réussite se dessine

Vers midi, nous atteignons Therouanne. La bienveillance du patron du restaurant, attentif à ne pas nous retarder, et le vent de plus en plus soutenu nous conduisent bientôt aux portes de Saint-Omer.

La traversée de la ville, qui m’avait paru compliquée lors d’une précédente diagonale, n’est qu’une simple formalité. Nous avons la bonne idée de questionner une dame qui pourrait chanter dans son intégralité et avec l’accent de ch’Nord « Dors min p’tit Quinquin, Min p’tit pouchin … ». Aimable, elle nous guide dans une cour pavée, sorte de passage secret entre deux rues et nous voilà bientôt sur la bonne route en train de dépasser un train de péniches qui remonte l’Aa.

À partir du pont de Watten, le vent complice devient un associé à part entière : on ne l’entend plus, c’est lui qui pédale tout le long du canal de la Colme, nous portant à une vitesse peu usuelle sur une diagonale

Nous entrons dans Dunkerque par Saint-Pol-sur-Mer, sans nous attarder auprès du superbe trois-mâts blanc amarré dans le bassin.

Alors que les policiers s’emploient à dépêtrer toute la misère du monde, Christophe, toujours aussi efficace et pressé, réussit à faire tamponner nos deux carnets de diagonale…

–  « Avec un peu de chance et en se dépêchant un peu, on doit pouvoir attraper le train de 15h 56 !»

Si je vous dis, que de toutes les Diagonales, Hendaye/Dunkerque a été la plus rapide, vous savez maintenant pourquoi…


[1] Christian Raineau est sariste : il accompagne des diagonaliste de passage en Touraine, Christian nous a initiés Jean-Claude et moi à ces longues randonnées par une flèche entre Ambert (63) et Camaret-sur-Aigues (84) en 2006 suivie par une première Diagonale entre Brest et Perpignan en 2007.

[2] Jean-Luc Boulvert et Michel Cullerier auraient du être mes partenaires sur cette Diagonale qui devait être leur première traversée de la France et sans doute le début d’une longue série. Des problèmes de santé pour l’un et familiaux pour l’autre les ont contraints à remettre à plus tard cette tentative. Christophe les a remplacés presque au pied levé.

[3] Pierrot est un compagnon de l’U.C.T, dont nous avons appris le décès en route. Cet homme aimable, d’agréable compagnie, nous a longtemps guidé sur tous les chemins de la région, jusqu’à ce que sa maladie l’empêche à jamais de pédaler. Nous regretterons l’homme et ses petits chemins qui lui ressemblaient tant, agréables et surprenants. Nous dédions cette Diagonale à sa mémoire.

 

  Album photo de cette excursion

 




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